Lu dans 
Outre-blonde
Frédérique Bel, 31 ans, actrice. Après ses années
de fausse potiche sur Canal +, elle change de registre pour se faire
une place au cinéma.
Elle naît blonde (cendrée). Elle devient une blonde (il
y a blonde et blonde. Faut bien bouffer). Puis, une Minute blonde sur
Canal + à 20 h 45. Les Chiennes de garde grognent, Play-Boy salive.
Ces deux vieux gendarmes de la féminité n'ont rien compris
: elle est en train de zigouiller l'inusable blonde. D'ailleurs c'est
fini, elle a disparu de l'écran juste avant l'été.
Frédérique Bel, alias Dorothy Doll, s'est envolée à l'heure
convenue par elle seule et ses comparses d'écriture. Elle laisse
entre les murs de la chaîne le souvenir d'une ingérable
; sinon, aucun produit dérivé façon télé,
juste le DVD d'une simili-cruche cheveux platine et porte-jarretelles
en option, une poupée qui parle à de prestigieux invités
mutiques et en carton. «J'avais pompé le concept à Scorsese.
Dans King of Comedy, De Niro parle à des personnages en carton.» Elle
a remballé le décor tremplin, lâche «mais sans
aigreur» : «J'ai eu une paye de blonde.» Elle
ne dira pas combien.
Elle est de toute façon partie pour un cinéma qui ne garantit
pas le cachet, un film «d'auteur» : Changement d'adresse,
d'Emmanuel Mouret. Du coup, les Cahiers du cinéma ont trouvé,
parmi leurs cases, un endroit où la mettre. La voici sacrée «actrice
rohmérienne». «Il y a deux semaines, j'étais
une pouffe de la télé !» Elle croisait et décroisait
les jambes en se demandant quelle mélasse molle et verdâtre
la télévision touille dans nos têtes, quels mensonges
la politique raconte encore, quel pic de vanité pollue le show-biz.
Les textes mordants n'étaient pas d'elle, mi-speakerine folle,
mi-mannequin, mi-comics, qui célébrait tout en blanc et
tout en gloussant le mariage de la tête et des jambes : «Je
revendique la féminité, l'humour, la légèreté.
Pourquoi j'ai pas le droit d'être tout à la fois ?» Elle
dit ça très sérieusement, avec sa manière
de ne pas laisser l'autre en placer une, de sa voix haut perchée
qu'elle forçait à peine pour faire la blonde : «Je
sais que j'ai un grand nez et une petite voix, je fais avec ce que j'ai,
mes défauts compris, je ne cherche à cloner personne. J'ai
réhabilité le porte-jarretelles à 20 h 30.»
Elle porte ce jour-là un chemisier rouge à pois blancs.
On dirait ces petits cailloux qui disent le chemin parcouru. Premier
cachet, 800 francs. Fraîchement montée à Paris, la
provinciale s'inscrit à l'ANPE spectacle, qui lui propose le Groland
de Canal + : le lendemain, elle est déguisée en Miss France
qui fait des bras d'honneur parce qu'elle n'aime pas ses cadeaux. On
oublie trop vite son bras d'honneur, on ne retient que sa blondeur. Première
phrase à l'écran, un peu plus tard, dans une série
télé : «I love Paris.» Elle devait le dire
avec l'accent tchèque, ce qui comptait, c'était que la
voix ait de jolies jambes. Avant, justement, elle avait fait doublure
jambes (elle ne peut pas dire de quelles actrices, le contrat exige le
secret), cadavre pour le commissaire Moulin, et puis prostituée,
507 heures de garde à vue dans les bureaux du même commissaire,
de la pub forcément («40 en deux ans, j'ai explosé le
marché») façon blonde fatale sur peau de bête
ou Barbie vaguement psychopathe. Encore avant, elle avait vendu des compils
des années 70 et 80 dans les centres Leclerc de l'est de la France. «Je
m'installais à côté du rayon boucherie, personne
ne voulait me laisser de prise pour me brancher.» Elle avait fait
hôtesse tee-shirt rouge et queue de cheval sur les Grands Prix
de Formule 1, et créature plus sexy encore dans les boîtes
de nuit. Bref, le dédoublement de la personnalité, elle
connaît. Et on devine, derrière la fille accrocheuse,
de vrais talents d'emmerdeuse.
Le coffre de l'enfance déborde de décors. Il y eut l'épicerie,
puis l'hôtel, puis le bar des parents commerçants à Annecy,
et ensuite à Mâcon. Il y avait obligation d'aider au retour
de l'école. La gamine, parfois femme de chambre, prenait là ses
premiers cours de comédie : «Je jouais à la réceptionniste, à la
serveuse, je souriais aux gens et je râlais en cuisine...» Elle était
plutôt du genre rachitique, dents en avant, elle faisait de l'aviron
pour gagner des épaules, et raffolait à la télé des
Coco girls du Collaro Show, comme des débats qui finissaient en
pugilat. «La télé que je regardais enfant n'était
pas sclérosée par les jeux d'argent, il y avait des gens
qui s'engueulaient.» La maison était faite de passages et
de contradictions, on y prétendait qu'il fallait devenir fonctionnaire
parce que chez ces gens-là il y a des horaires et des vacances,
d'où la licence de lettres, décrochée avec l'idée
de devenir prof. On y cherchait des échappatoires. «Mes
parents ont toujours été préoccupés par une
grande quête mystique, ils sont souvent allés vers des trucs
bizarres», dit-elle sans prononcer le mot secte. D'où son
bouddhisme revendiqué très jeune. «J'ai envie que
mon passage sur terre soit celui d'une petite comète lumineuse,
vivante et pétillante qui apporte du rêve et de l'amour.» D'où,
aussi, quelques rituels étranges. «Chaque jour, sur le tournage
lorsqu'elle s'habillait, elle plaçait des pierres partout sous
ses vêtements, dans sa culotte, dans son soutien-gorge. Elle dit
trouver de l'énergie dans les pierres», raconte le réalisateur
Emmanuel Mouret. Lorsqu'il l'a vue, la première fois pour les
essais, c'était une fin d'après-midi, il lui a posé deux
questions comme c'est l'usage avant de passer au test. «Trois heures
après, elle n'avait pas fini de me répondre. On a dû remettre
les essais à plus tard.» Elle se révéla parfaite
pour lier drôlerie et sincérité. «Je n'ai jamais
vu quelqu'un travailler autant, et faire que ça n'ait l'air de
rien. Elle me fait penser aux actrices américaines qui n'ont jamais
eu peur de jouer l'ingénuité, contrairement aux actrices
françaises qui veulent toujours se donner bonne figure.» Lui
la verrait plutôt chez Billy Wilder que chez Rohmer. Ça
tombe bien, ses modèles à elle s'appellent Jennifer
Aniston, Julia Roberts et Diane Keaton.
Le divertissement à l'américaine est sa référence.
Elle a fait là-bas quelques essais. «Chez eux, je passe
pour une timide.» Ici, pas envie de ressembler aux autres, «pas
envie de mettre le pull en V Zadig et Voltaire sur un jean, et d'arriver
pas coiffée sur les plateaux de télé». Les
petits pois blancs sur son chemisier rouge sont décidément
de vrais petits cailloux. «Je suis partie du commerce pour aller
vers l'artistique. J'ai fait tout ce qu'il ne faut pas faire, de la figuration,
de la pub, du mannequinat. Après la "blonde", la logique
commerciale voulait que je fasse un spectacle, une série, des
poupées. "Fais marcher la caisse" ,me disaient certains
agents.» Elle se voit un peu cousine d'un Jean Dujardin, qui se
créa sur le Net un personnage potache et populaire, passa par
le programme court télé et vint finalement perturber le
très féodal système du vedettariat français.
Elle dit : «Si le cinéma devient démocratique, y
a tout un tas de gens qui vont s'inquiéter.»
Elle veut plein d'enfants : «Je suis une montagnarde à la
base, j'ai passé mon enfance dans les alpages, je sais fauner
et traire les chèvres.» Pour l'heure, elle est plutôt
chair à Voici . Elle votera sûrement Ségolène
( «espoir de la gauche au grand désespoir de la gauche»,
disait la Blonde), parce qu'elle habite à côté d'un
commissariat du XIIIe arrondissement et qu'elle redoute Sarkozy. «Je
vois des files d'étrangers, ils font la queue, ils sont au bord
de l'expulsion.» Elle aime la littérature dite décadente,
cite Oscar Wilde, Thomas Mann, Gabriel D'Annunzio. Elle rêve d'incarner
une Jeanne d'Arc «un peu nymphomane façon Monty Python».
Blonde vengeresse et défroquée assure qu'un coeur vaillant
peut se cacher sous de jolis seins, qu'une jupe courte n'empêche
pas les idées larges. «C'est ça le women power. A
la télé, je ne vois que des gens pas fun et des femmes
qui se prennent pour des hommes.» Elle en est partie. «J'étais
dans le bocal, je suis passée dans la mer, forcément j'ai
changé de couleur.»
C'est vrai qu'elle est déjà moins blonde qu'à la
télé.